Décollage
Le second régime de vol et le décollage
Pourquoi ce sujet ?
- Rapport BEA de l'accident du Cessna 172 F-GEJG, survenu le 13 juin 2019, lors d'une remise des gaz. -
Parce que la perte de contrôle en vol ( LOC - I, loss of control - inflight ) est de loin la première cause d’accident mortel en aviation générale, et parce que les accidents surviennent plus souvent lors du décollage et de l’approche, phases de manoeuvre à vitesse réduite.
Dès que l’on a fait ce constat statistique, on en recherche les causes. Elles sont multiples et relèvent de la complexité du triptyque homme-machine- environnement. Les formidables capacités d’adaptation humaines nous permettent avec de la réflexion, de l’analyse, du travail, le temps et l’expérience, d’acquérir le sens de l’air (airmanship) :
• Une solide connaissance des principes du vol.
• La capacité et les compétences requises pour utiliser un aéronef avec précision au sol et en vol.
• Et la capacité de juger et de faire preuve du discernement indispensable à un niveau de fiabilité opérationnelle optimal.
Cette qualité qui nous permettra peut être, un jour, de faire face à une situation critique exceptionnelle, se construit graduellement et demande à être maintenue.
Mais pour poursuivre sereinement notre évolution vers un niveau plus élevé de maîtrise, nous pouvons dès maintenant ériger des défenses efficaces contre ce qui a le plus de chance de se produire lorsque l’on utilise un aéronef léger.
Qu’est ce que le second régime de vol
Pour simplifier, nous avons choisi de raisonner à partir des courbes de puissance nécessaire et de puissance utile (P. disponible) du vol en palier stabilisé (USSR, uniforme, symétrique, stabilisé (v=cte) et rectiligne).
Le second régime de vol est la partie du domaine de vol qui se situe aux incidences supérieures à l’incidence pour laquelle l'excédent de puissance est maximum, jusqu’au décrochage. Il se caractérise par l'augmentation de la puissance nécessaire au vol et la diminution de la puissance disponible à mesure que la vitesse décroît. Entre le point équipuissance quand il existe (intersection des courbes de puissance nécessaire et de puissance utile) et le décrochage, la puissance nécessaire devient supérieure à la puissance utile. Le palier ne peut être stabilisé.
Un avion puissant peut ne pas avoir de point équipuissance au second régime en palier, mais il existe une pente de montée pour laquelle un tel point peut apparaître, le vol ne pourra-t-être stabilisé en montée sur une pente supérieure... La récupération pourra alors nécessiter de descendre ...
Mais le décollage s’opère normalement et sans danger au second régime de vol. Il faut faire la rotation à une vitesse suffisante, qui permette de décoller pour s’affranchir du sol et des obstacles, qui permette d’accélérer pour rentrer les volets hypersustentateurs, pour poursuivre l’accélération vers la vitesse de montée.
Les menaces, les erreurs, leur gestion
Côté avion et préparation du vol
‣ Un avion en surcharge, mal centré, des passagers lourds ou chargés.
Vous devez avoir une idée précise du chargement et du centrage de votre appareil selon la quantité de carburant et le nombre de passagers embarqués.
Le calcul doit faire partie du processus de prise en compte de toute nouvelle machine en considérant les différents cas de figure et en identifiant les cas à risques. Ces éléments devraient être classés dans la documentation opérationnelle de chaque pilote. Une fiche de pesée présentant les cas aux limites peut de plus permettre au pilote de justifier du centrage correct de sa machine, ce qui peut lui être demandé par les autorités.
‣ L’accumulation de givre ou d’autres contaminants, l’infiltration d’eau dans les plans ou dans le fuselage (ULM particulièrement concernés).
Un appareil qui couche dehors, ou dans un hangar plus ou moins étanche doit faire l’objet d’un traitement particulier : inspection minutieuse, mise en place de tous les caches et de protections,,qu’il ne faudra pas oublier de retirer avant d’aller voler. On a retrouvé de petits rongeurs dans des carburateurs...
Des conditions météorologiques extrêmes doivent aussi alerter : froid / chaud, forte humidité, vent, sable, poussière,…
‣ Un débattement des commandes et gouvernes entravé. Il existe des dispositifs extérieurs de blocage des gouvernes, il faut vérifier lors de la visite prévol qu’ils ont bien été retirés. La ceinture d’un siège pilote est parfois utilisée pour bloquer le manche et les gouvernes.
La vérification des commandes et des gouvernes est une généralité valable pour tous les aéronefs. Eviter autant que possible de détourner l’utilisation des ceintures ou de tout autre dispositif. Avant d’embarquer des passagers il faut les débarrasser de leurs sacs et de certains vêtements encombrants. Les passagers installés en place pilote doivent être sensibilisés à l'importance de laisser les commandes libres. L’essai du débattement des commandes doit être systématique avant l’alignement. Le pilote doit aussi expliquer à ses passagers que sa charge de travail ou les messages radio pourront le rendre momentanément indisponible et que c’est une situation normale.
‣ Un siège pilote mal verrouillé, qui glisse brutalement en arrière en montée initiale peut provoquer une action brutale sur le manche qui peut quasi instantanément placer l’avion au delà du point équipuissance du second régime (Augmentation d’incidence sous facteur de charge).
Cette mésaventure est arrivée à de nombreux pilotes, heureusement sans conséquences pour la grande majorité d’entre eux, elle arrive rarement deux fois au même pilote ... , demandez vous pourquoi et comment, réponse à la fin de cet article.
‣ La réalisation de deux vols similaires avec des avions similaires ... en apparence : ce qui est faisable avec un DR400-160 ch ou 180 ch ne passe pas forcément avec un DR 400-120 ch.
Lorsqu’un pilote est amené à voler sur une famille d’avions, il faut qu’il connaisse les différences dans la famille. Idéalement une association qui exploite une flotte d’avions similaires devrait tenir à la disposition de ses instructeurs et pilotes un document récapitulatif des différences et l'analyse des risques associés (Cela va de la sélection des réservoirs aux performances, en passant par ...).
‣ Une variation du centrage en vol ( Des bagages non ou mal arrimés, un gros chien qui panique et fuit dans le coffre ou sous un siège pilote, l’embarquement d’un animal domestique doit être réfléchi. Un petit chien peut se faufiler dans une zone hors d’accès des passagers).
Cet exemple évoque l’embarquement d’un animal domestique, qui n’est jamais anodin et doit être bien réfléchi...
Un siège mal verrouillé peut aussi entraîner une variation du centrage.
‣ L’oubli des caches pitots / statiques peut placer le pilote dans une situation critique de perte de références: Indication erronée de la vitesse, de l’altitude ...
Lorsque le pilote approche sa machine (à une dizaine de mètres) il doit prêter attention à son état général. Y a-t-il une flaque sous la machine, de quoi s’agit-il, les pneus sont ils bien gonflés, les saumons d’ailes sont-ils bien à la même hauteur, les caches sont-ils en place? La barre de traction doit toujours être retirée dès que l’avion est sur une position qui permet le démarrage.
Si les prises statiques sont bouchées, cela va se traduire par un altimètre bloqué à l’altitude du terrain, des prises statiques de secours sont souvent installées dans le cockpit des avions non pressurisés, elles devront être ouvertes. Cette configuration donnera lieu à une correction altimétrique, l’habitacle étant en légère dépression.
Le pilote doit toujours être mentalement prêt à piloter aux préaffichages, sans références instrumentales.
L’entraînement à cette situation doit se faire avec un instructeur.
Côté pilote
‣ Le décollage prématuré, dont voici des facteurs contributifs :
- Le compensateur à cabrer, hors de la plage de décollage.
- Une piste courte et des obstacles, facteurs de stress qui incitent le pilote à décoller prématurément.
- Le décollage vent arrière, qui augmente considérablement la longueur de piste nécessaire au décollage et peut conduire le pilote à vouloir décoller alors que la vitesse propre est insuffisante.
- La tentative de passer au dessus d’oiseaux sur la piste. C’est de surcroît, le plus sûr moyen de les percuter. (Si la longueur de piste le permet, interrompre le décollage.)
Un cheminement visuel (scanning) doit permettre au pilote de vérifier l'ensemble de l’interface de pilotage dont les compensateurs. Cette action se fait généralement juste avant la visite prévol (inspection de sécurité - scanning - visite prévol). Durant la visite prévol les tabs des compensateurs font aussi l’objet d’une inspection qui doit vous renseigner sur le réglage des compensateurs.
Les informations météo doivent être matérialisées mentalement, (angle au vent de la piste) et comparées/confirmées visuellement in situ avec la manche à air. S’il a beaucoup plu le pilote doit penser que le terrain peut être lourd, ou inondé. Lorsqu’on arrive au terrain il faut prendre le temps de “humer l’air”, de regarder les oiseaux...
‣ L’oubli de sortir les volets hypersustentateurs. Lors de la rotation, l’incidence de décollage sera très supérieure à celle prévue et l’avion sera beaucoup plus proche de la zone critique du second régime. (les ulm trois axes performants, sont parfois équipés de volets à fentes de type Fowler, alimentés sur l’extrados, ces volets sont très efficaces, décoller dans une configuration inappropriée peut être vraiment dangereux.
Il faut disposer d’une check liste avant décollage adaptée à ce risque majeur.
Le décollage fait partie des moments forts du vol, ne l’entreprenez jamais sans avoir fait les C/L avant alignement et avant décollage (qui peuvent être regroupées selon les méthodes) Les volets, sur certaines machines peuvent aussi être braqués vers le haut pour augmenter la vitesse de croisière ou la finesse, cette particularité doit vous alerter (planeurs)).
‣ Une inclinaison importante en montée initiale. Le virage, comme tous les changement de trajectoire est un grand consommateur d’énergie, au delà de 20° d’inclinaison la puissance nécessaire au vol augmente de manière significative.
Sur un avion léger, l’inclinaison systématiquement recherchée en montée normale est de 15°. Le pilotage doit être structurés autour des principes de préservation des marges de sécurité.
‣ Un moteur qui ne délivre pas la puissance prévue. La sélection d’une seule magnéto, par exemple parce que le pilote a été interrompu par une communication radio lors des essais moteur. Ou bien lors d’un touché-décollé à cause de l’oubli sur “Marche” du réchauffage carburateur avant de remettre la puissance. Un arrondi long peut être à l'origine de la précipitation à remettre la puissance alors que l’avion n’est pas reconfiguré pour le décollage et que la puissance ne sera pas disponible.Certaines commandes manuelles de volets doivent être déverrouillées avant d’être actionnées, l’application d’un effort sur la commande empêche son déverrouillage, c’est une situation de blocage que l’on rencontre souvent dans les actions contraintes par le temps.
Le simple fait d’y avoir un jour réfléchi peut suffire à contrôler et anticiper efficacement ce type de situation.
‣ La recherche d’une assiette de montée inadaptée. En particulier sur les avions à train classiques : Lors de la mise en puissance au décollage le manche est généralement positionné en butée arrière, pour prévenir un basculement de l’avion vers l’avant et appuyer la roulette de queue sur le sol . Cela permet d’ avoir un meilleur contrôle en lacet alors que les effets moteurs sont importants et que les gouvernes sont peu efficaces du fait de la faible vitesse avion. Il est arrivé que le pilote ne laisse pas l’avion se mettre en ligne de vol avant le décollage, qui se produit alors involontairement et à forte incidence. Ou bien l’assiette recherchée se fait à partir de l’assiette “trois points” (roulage) au lieu de l’assiette de l’avion en ligne de vol ...
Cette situation se rencontre lorsque le pilote n’a pas volé depuis longtemps, lorsqu’il n’a volé qu’en instruction (stagiaire) sur le type ou lorsqu’il essaye une nouvelle machine. Elle est due à une surcharge cognitive responsable de l’absence ou du retard d’action. La solution: visualiser mentalement avant le vol la chronologie du décollage.
‣ Un événement imprévu (mais pas imprévisible) comme l’ouverture de la verrière ou de la porte, peut aussi détourner le pilote de la trajectoire et emmener dans la zone critique du second régime.
Le verrouillage des issues doit figurer dans la C/L pertinente. Vous devez avoir compris les principes de verrouillage des issues de votre aéronef. Enfin, ces événements n’ont généralement pas ou que peu d’ incidence sur les qualités de vol des appareils, mais ils sont impressionnants. Bruit et souffle ne doivent engendrer ni panique ni précipitation, ni changement immédiat du plan d’action.
‣ ...
Côté environnement
‣ Un environnement techniquement difficile, piste courte, pentue, des obstacles, une aérologie particulière, liée au site (vent et arbres proches de la piste, relief, ...) ou du cisaillement de vent lié aux conditions météorologiques (CB, vents forts, température élevée) etc, ...
Faites vous briefer par un habitué du site et demandez conseil à un instructeur. Il faut toujours avoir un regard critique et analyser les risques des terrains utilisés, y compris lorsqu’ils sont familiers. L’environnement évolue avec le temps, comme la végétation. L’élagage de certains arbres peut devenir souhaitable, faites valoir vos analyses.
Et une combinaison de tous ces facteurs, l’accident s’organisant la plupart du temps comme un scénario
*l’événement du siège qui se déverrouille et glisse brutalement vers l’arrière jusqu’à la butée est tellement désagréable que l’on se fait rarement piéger 2 fois (vécu par l’auteur et la plupart des personnes à qui il en a parlé pour rédiger ce document).